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8 mars: Gabrielle Duchêne - féministe du 15ème dont la mémoire se doit d'être honorée.

8 Mars 2024 , Rédigé par PCF Paris 15

8 mars: Gabrielle Duchêne - féministe du 15ème dont la mémoire se doit d'être honorée.
2 articles: un court de nous-mêmes sur les liens de Gabrielle Duchêne (1870 - 1954) avec le 15ème et ses entreprises, la classe ouvrière féminine notamment entre 1914 et 1918. Un long de la revue La Pensée de 1954 qui traite aussi de son engagement pacifiste, féministe, social, communiste et résistant.

 

Une personnalité du XVe à sortir de l’oubli:

Gabrielle Duchêne

Une petite rue du XVe porte le nom de son beau-père et de son mari, Achille, paysagistes très renommés, la rue Henri-Duchêne, entre l’avenue Emile Zola et la rue du Théâtre, où ils étaient établis. C’est dans ce quartier, notamment avenue Emile Zola (n°146) et rue Fondary (n°32) que Gabrielle Duchêne (1870-1954) fut la plus active.

 Elle fut une avant-gardiste de la lutte pour le droit des femmes, notamment des travailleuses. Elle fonda et hébergea, dès 1908, une amicale des lingères, qu’elle rattacha au syndicat de la chemiserie-lingerie.  En 1913, elle créa l’Office français du travail féminin à domicile.

Dans la suite, pendant la 1ère guerre mondiale, alors que les « munitionnettes » sont exploitées sans retenue dans les usines d’armement (ex : Citroën, rue Saint-Charles),  elle s’engagea au « Comité intersyndical d'action contre l'exploitation de la femme » pour revendiquer un salaire minimum et une égalité de rémunération avec les hommes.

Après-guerre, elle milita et dirigea plusieurs organisations pacifistes féminines dont la « Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté ». Cet engagement la conduisit dans la lutte contre le fascisme (Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme). Entre 1940 et 1944, elle échappa de peu à l’arrestation et dut se réfugier. Cette figure féministe, précurseur et courageuse, à la fois internationale et ancrée dans les luttes de terrain dans nos quartiers, alors si industrieux, mérite d’être célébrée. Sans attendre un 8 mars.

 

Gabrielle Duchêne
1870 – 1954

par Francis Jourdain (La Pensée – n° 58 – nov. déc. 1954)


C’est une belle figure que celle de Gabrielle Duchêne, et fort singulière. Si elle n’eut pas conscience de sa propre originalité, ce n’est pas seulement parce qu’elle était d’une modestie rare, c’est aussi en raison de ce qu’il y avait de parfaitement naturel dans son comportement pourtant peu banal. Et puis, débordée de travail, sans doute ne trouva-t-elle jamais le temps de méditer sur son cas, sur ce qu’avaient d’exceptionnels dans son milieu ce besoin de servir, et, bien davantage, la façon dont se manifestait ce besoin. Impossible en effet de voir en Gabrielle Duchêne une de ces dames-patronnesses dont le zèle, même lorsqu’il est méritoire, n’est que le prolongement d’un sentiment de charité dont l’authenticité est cependant pour le moins contestable et l’origine suspecte. Chez notre amie, la pitié s’exhaussait d’indignation ; je veux dire qu’elle ne se contentait pas de déplorer la misère d’autrui, elle entendait y porter remède en recherchant la source du malheur, en s’attaquant à la cause, sans pourtant se désintéresser de l’effet, car elle n’avait pas le cruel sang-froid des théoriciens, des dogmatiques ; elle avait le cœur ardent des partisans.
Gabrielle Duchêne a fait le bien et combattu le mal. Jusqu’à son dernier souffle, elle milita.
La sympathie qu’inspirait à cette privilégiée du sort la classe laborieuse opprimée, n’était entachée d’aucune forme de snobisme. Si Gabrielle Duchêne n’avait rien de la bonne riche qui, dans les romans de Mme de Ségur, consent à secourir le bon pauvre, elle ne se sentait pas tenue de jouer les viragos. Jamais elle ne fut guidée par le désir de scandaliser ceux de sa classe ou par le souci d’étonner, par quelque démonstration spectaculaire, les femmes et les hommes dont elle avait su gagner la reconnaissante affection. Ils sont nombreux cependant ceux et celles qui peuvent témoigner de sa générosité discrète, de son dévouement courageux, parfois téméraire.
La vie de Gabrielle Duchêne est un curieux exemple du chemin emprunté par le sentiment instinctif de la dignité humaine pour devenir révolte d’abord, et bientôt prendre pleine conscience du devoir qui s’impose : transformer le monde. Toute gamine, Gabrielle fut profondément choquée de voir installés sur les premiers bancs du catéchisme où elle était envoyée, les enfants des « personnes bien », c’est-à-dire des riches, tandis que les filles d’ouvriers occupaient les derniers.
Elle n’allait pas tarder à découvrir de bien plus douloureux aspects de l’inégalité sociale. Elle comprit tôt, et de plus en plus clairement, que cette inégalité était une des conditions essentielles de la stabilité d’un système dont elle avait en quelque sorte honte de bénéficier. S’attaquer à cette injustice, c’était participer à une dure bataille dont la juste issue était certaine. Elle s’y engagea délibérément. Ayant vite décelé les motifs véritables qui, plus ou moins consciemment, déterminaient leurs gestes charitables, elle quitta les « personnes bien » en compagnie desquelles elles « s’intéressait » aux indigents. La démission motivée d’une jeune femme de si bonne famille, mais d’esprit si dangereusement subversif, causa quelque scandale. C’est alors que l’attention de Gabrielle Duchêne fut attirée sur le sort – fort peu connu – réservé aux ouvrières à domicile. Vingt ans durant elle dirigea la coopérative qu’elle avait fondée, donnant le reste de son temps à une autre de ses créations, l’Office Français du Travail à domicile. Cette organisation lui permit de défendre les intérêts des travailleuses et de mener à bien une longue campagne en vue d’obtenir une loi fixant un minimum légal du salaire.
C’est en grande partie à cet Office, c’est à la ténacité de sa fondatrice que fut dû – après des années d’attente – le vote de la loi sur le salaire minimum. Ainsi disparaissait enfin le scandale des salaires horaires de 0 fr. 05 (sic) qui – pour ne parler que de l’industrie de la lingerie – étaient pratiqués par les cyniques exploiteurs de l’Allier par exemple, dans une proportion de 35 pour cent.
Dans l’ouvrage qu’elle publia en 1918 sur cette question, Gabrielle Duchêne souligne le fait que la loi du 10 juillet 1915 permettait, outre une hausse appréciable, « une tendance à harmoniser les salaires avec le coût de la vie et un mouvement vers l’organisation syndicale », mais elle se garde bien de faire la moindre allusion à l’importance, dans ce succès, de son action personnelle. Elle était, à cette époque, fort mal vue des autorités. 1915 !... Depuis un an déjà le bourrage de crânes sévissait avec une violence à laquelle bien peu avaient résisté. L’attitude de Gabrielle Duchêne lui valu des poursuites et perquisitions. En effet notre amie avait acquis un sens politique assez sûr pour saisir le caractère mensonger d’une guerre dont Romain Rolland avait dévoilé les fins véritables. La presse réactionnaire qui hurlait aux chausses du grand écrivain, n’épargna pas sa complice.
C’est aux côtés de celui-ci qu’elle participa à la fondation de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté. Elle fut, d’autre part, une des premières à saisir l’immense importance politique, sociale et morale du grand fait qu’est la Révolution d’Octobre. Aussi, dix ans plus tard, accepta-t-elle d’enthousiasme de se joindre à la délégation féminie qui vint à Moscou commémorer l’anniversaire du 7 novembre. Au cours de cet inoubliable voyage auquel je pris part comme délégué du S.O.I. (Secours ouvrier international) il me fut maintes fois donné d’apprécier la perspicacité de mon aînée, la clairvoyance de ses jugements, la sincérité raisonnée de son enthousiasme.
Ce voyage eau d’heureux et utiles prolongements et tous ceux dont elle s’assura la collaboration purent admirer la sagesse et l’énergie dont elle fit preuve jusqu’à sa mort, jamais découragée par les difficultés que nous étions fiers de surmonter avec elle, grâce à elle.
Toutes les campagnes entreprises en faveur de la paix et de l’émancipation des peuples eurent non seulement son adhésion, mais aussi son appui effectif. Il faudra quelque jour dire le rôle qu’elle sut faire jouer notamment au Cercle de la Russie neuve et à l’A.P.E.C.S. (Association pour l’étude de la culture soviétique) dans la formation de maints esprits. Et je ne pense pas uniquement à la curiosité éveillée chez tant de jeunes par les conférences, cours, colloques, publications de ces cercles ; beaucoup de leurs aînés – dont de glorieux déjà – trouvèrent là matière à de fécondes méditations. Langevin lui-même disait avoir acquis dans les échanges de vues auxquels il participait avec sa modestie habituelle et son clair génie, une meilleure connaissance de cette dialectique marxiste à laquelle il se sentait chaque jour plus étroitement attaché, plus fidèle.
Comme nous, notre admirable guide aimait vanter la ferveur dont Gabrielle Duchêne nous donnait le réconfortant exemple. Comme nous, il l’aimait d’être simple et il l’aimait d’être bonne, intelligemment et efficacement bonne, il l’aimait d’avoir senti que la vraie bonté ne saurait être passive, ni se résigner au malheur d’autrui. Mieux que nous, notre Langevin aurait su montrer la flamme qui toujours illumina et réchauffa le cœur de Gabrielle Duchêne, son amie, notre amie.   

 

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