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Journée nationale de la déportation. Allocution de M. Emile Torner.

30 Avril 2007 , Rédigé par Emile TORNER Publié dans #Histoire - Notre mémoire

Journée nationale de la déportation  dimanche 29 avril 2007. Commémoration devant le monument aux morts du 15ème arrondissement.

Allocution de M. Emile Torner, ancien déporté résistant à Buchenwald et Langenstein, président de l’ADIRP de Paris, réprésentant de la FNDIRP au comité d’entente du 15ème.


Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chers amis, chers camarades,

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour votre présence.

Je salue particulièrement mes camarades Maurice Obréjan, ancien déporté à Auschwitz, Buchenwald et Langenstein et Charles Palant, ancien déporté à Buna-Monowitz-Auschwitz III et Buchenwald.

Je tiens à excuser mes camarades anciens déportés du 15ème : Madeleine Rabitchov, déportée à Auschwitz et Ravensbrück, membre du comité international de Ravensbrück, André Hallery, déporté à Auschwitz-Sachsenhausen- Buchenwald.

Nous commémorons aujourd’hui le 62ème anniversaire de la libération des camps d’extermination et de concentration. Comme chaque année, le dernier dimanche d’avril, nous tenons à rendre un hommage solennel aux victimes du plus grand crime jamais perpétré contre l’Humanité.

Jusqu’aux derniers jours de la guerre, les nazis n’ont cessé de convoyer des cargaisons humaines vers l’enfer concentrationnaire. 160000 êtres humains ont été déportées de France. 76000 le furent au titre des critères racistes de l’occupant. Plus de la moitié furent exterminés dès leur arrivée. 2500 seulement sont revenus. Plus de 80000 ont été déportés pour faits de résistance ou à titre de répression. Moins de la moitié sont revenus, libérés à temps par les armées alliées de la mort certaine que leur promettait le régime d’esclavage, de torture, de froid, de faim, le régime d’extermination par le travail qu’ils ont enduré au profit de l’effort de guerre nazi et de l’industrie allemande.

Le 23 juillet 1944, les troupes soviétiques entraient à Majdanek, premier camp libéré et découvraient avec effroi l’enfer organisé des camps de concentration. Les nazis en déroute n’avaient pas eu le temps d’éliminer toutes les traces de leurs crimes, dont 800000 paires de chaussures.  Le 27 janvier 1945, l’Armée rouge libère l’infâme complexe de concentration et d’extermination d’Auschwitz- Birkenau. Le 11 avril 1945, les déportés du camp de Buchenwald, dont la brigade française libératrice, parviennent à se libérer eux-mêmes à l’approche des troupes américaines. Il faudra attendre jusqu’au 8 mai 1945 pour que l’ensemble des camps soit libéré.

Le 15ème arrondissement a payé son tribut à la barbarie nazie. Les plaques sur nos murs en témoignent, nos rues portent les noms de nombreux martyrs de la liberté. C’est aussi dans notre arrondissement que se situait le Vélodrome d’hiver.  Les 16 et 17 juillet 1942, 13152 juifs, dont 4115 enfants sont raflés par les policiers et gendarmes français. Plus de 7000 d’entre eux furent parqués dans des conditions épouvantables au Vélodrome d’Hiver. Presque tous finirent assassinés dans les chambres à gaz de Birkenau. En 1995, le Président de la République reconnaissait la responsabilité de l’Etat français dans ce crime, ce dont se sont félicitées nos associations. On comprendra aussi notre extrême sensibilité devant tout ce qui pourrait ressembler, même de loin, aux rafles de 1942, dans les couloirs du métro ou devant les écoles de la République.

Il y a 62 ans, rescapés, nous rentrions hagards, décharnés, méconnaissables à nos familles, pour ceux qui en avaient encore. Devant l’hôtel Lutétia, d’autres familles nous interrogent anxieusement sur le sort des leurs qui ne reviendront vraisemblablement pas. Chacun de nous est alors partagé et le restera entre la volonté de taire l’indicible pour gagner un impossible oubli et la nécessité de témoigner pour que cela ne se reproduise plus jamais. Les images de l’horreur côtoyée durant des mois hantent toujours nos souvenirs. Pour nous autres, rares rescapés encore vivants, jamais la nécessité de rester fidèles aux serments prononcés sur les places d’appel des camps et de témoigner ne nous a paru aussi impérieuse. Nous jurions alors de  « suivre le chemin de la participation à la grande œuvre de l’édification d’un monde nouveau, libre et juste pour tous… en souvenir de nos millions de frères assassinés par le fascisme nazi et de ne jamais quitter ce chemin… »

Ce monde dont nous rêvions à la Libération n’est pas devenu réalité. Nous avons compris que nous devrions sans cesse lutter, aujourd’hui encore. Lutter pour la paix quand les guerres de domination frappent plusieurs parties de la planète et que la course au surarmement s’emballe à nouveau. Lutter encore et toujours pour le respect de la dignité humaine dont l’obsession de nos bourreaux était de nous priver. Quelle désillusion de voir celle qui se prétend la plus grande démocratie du monde légaliser aujourd’hui la torture au nom de la lutte contre le terrorisme ! Lutter encore et toujours contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Des profanations de cimetières à des tentatives d’exaspération des communautarismes, même dans notre pays, nous nous rendons compte que rien n’est jamais acquis. Lutter encore et toujours contre le fascisme. Le « ventre est encore fécond d’où a surgit la bête immonde » a écrit le dramaturge.

Dès 1943, le Conseil National de la Résistance , fondé dans la clandestinité par Jean Moulin à l’initiative du général de Gaulle, analysait les causes de la montée du fascisme et du nazisme. Son programme, le programme du CNR devait inspirer la reconstruction du pays à la Libération. Il visait à restaurer une république sociale, centrée autour du progrès et de l’intérêt général. Ne laissons pas remettre en cause les acquis sociaux et démocratiques majeurs remontant à cette époque, fruit de la dure expérience de notre Nation. Souvenons-nous que c’est en partant de préoccupations sociales, de la détresse et de la désespérance, du chômage de masse que le nazisme a obtenu le soutien populaire dans l’Allemagne des années 30. Nous refusons l’injustice sociale et l’écrasement des plus faibles qui firent le lit du fascisme.

Nous nous sommes battus, beaucoup de nos camarades sont morts pour la restauration de l’indépendance de notre pays et de la souveraineté de son peuple, pour un monde de fraternité, pour la coopération sincère entre tous les peuples. Nous nous sommes retrouvés dans les camps, patriotes de différents pays, y compris d’Allemagne. Comme le fascisme avait tenté de diviser sur le sol national Français juifs et Français non juifs, Français et étrangers, les nazis s’appliquèrent à nous jeter les uns contre les autres, à nous soumettre à une concurrence sordide, dans l’extermination par le travail, devant la mort, au nom de l’identité raciale et de « l’identité nationale ». Beaucoup de ceux qui ont survécu des camps le doivent à la solidarité, à l’union dans la résistance, la lutte de tous les jours, des patriotes de tous les pays.  Ne l’oublions pas !

Aujourd’hui, nous commémorons le plus monstrueux crime contre l’Humanité. Les jeunes sont plus que jamais l’objet de toute notre attention. Nous voulons leur donner tous les moyens de constituer la relève pour transmettre notre mémoire et asseoir définitivement la vérité historique de ce que nous avons connu, entre autres contre les entreprises toujours renouvelées des révisionnistes et négationnistes. Nous voulons que cette journée soit un moment intense de témoignage, pour la vigilance devant l’oubli, pour la mobilisation contre toute résurgence de l’idéologie nazie. Ce combat n’est pas que le nôtre mais celui de vous tous, de la Nation tout entière.

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